La lumière d’Aurore, une jeune femme qui a décidé de ne pas se soumettre
L’affaire qui met en émoi le Pays Basque français : la France va-t-elle extrader une citoyenne française vers l’Espagne ? |
La lumière d’Aurore, une jeune femme qui a décidé de ne pas se soumettre |
Aurore Martin, jeune et jolie Basque de 31 ans, de la région de Saint-Jean Pied de Port, aurait pu avoir une vie comme beaucoup de ceux et celles de sa génération et du Pays Basque Nord. Sans grands espoirs particuliers en vue.
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Mais la réservée et déterminée à la fois Aurore Martin choisit un jour d’être militante. Au Pays Basque, être militant suppose, plus qu’ailleurs, une forte dose de convictions et la conscience bien vrillée que se battre pour les droits politiques et civils peut vous envoyer un jour derrière des barreaux. En France et pire, en Espagne. « J'ai fait un mois de prison en France, il y a une dizaine d’année, j’avais 22 ans, et il s’est finalement soldé par un non-lieu.Je n'arrivais pas à comprendre que la justice m'inculpe d'un délit sans preuve d’ « association de malfaiteurs ». Un an après, je faisais le choix de m'engager en politique. »
Ce fut un choix personnel. « Je n’ai pas été bercée dans un militantisme familial ». Le basque, elle l’a appris dans une ikastola, une école où l’enseignement se fait en basque.
Aurore Martin, militante de nationalité française du parti pro-indépendantiste basque Batasuna, parti de la gauche abertzale interdit en Espagne (depuis 2003) mais légal en France [« Il a pignon sur rue à Bayonne, et fonctionne au vu et au su de tous » (quotidien Sud –Ouest, 17/12/2010)] est passée, en quelques mois, d’une vie relativement discrète aux méchants feux de l’actualité. Malgré elle. En passant par la case prison. Celle de Seysses, près de Toulouse, où elle passa huit jours, avant d’être laissée en liberté sous contrôle judiciaire, le 17 novembre dernier.
En mai dernier, elle avait été informée à la section de recherches de Pau qu’elle faisait l’objet d’un mandat d’arrêt européen (MAE), lancé par le juge espagnol Baltasar Garzón de la Audiencia Nacional de Madrid, et daté du 14 juillet 2009, pour « faits de participation à une organisation terroriste, commis en Espagne entre 200 et 2008 ». Elle était laissée en liberté.
La vie de tous les jours d’Aurore Martin était alors rythmée par (aussi) des rendez-vous réguliers à la gendarmerie de Garazi (Saint Jean Pied de Port, en basque). Pour venir prouver aux autorités que l’on n’a pas pris la fuite.
Le 17 décembre, la Cour de cassation a rejeté le pourvoi formé par Aurore Martin, contre son transfert en Espagne. En novembre, la Cour d’appel de Pau (Pyrénées-Atlantiques) avait déjà donné son feu vert au transfert de la jeune Basque. .
« Je n’ai pas d’autre choix que de me cacher… »
Depuis lundi 20 décembre 2010, Aurore Martin, pour éviter d’être – le cas échéant-- extradée vers l’Espagne où elle serait passible de douze ans de prison, s’est cachée « quelque part » en Pays Basque. Cachée, pas entrée en clandestinité, pas pris le maquis, cachée. Jolie, Aurore s’est fait gentiment la belle.
Photo Anne Marie Bordes, Sud-Ouest
Le cas d’Aurore Martin constitue à double titre un précédent.
Photo de JDC, à la une de Sud-Ouest: Askatasuna
Les élus locaux montent en masse au créneau. Inédit.
(Quasi) unanimité des élus du Pays Basque
Photo de P.Bernière à St-Jean Pied de Port
Ils ont dit DIDIER BOROTRA : « Je trouve scandaleuse la position du gouvernement français qui s'apprête à livrer à Espagne une jeune femme de nationalité française. La France n'a pas à extrader une de ses concitoyennes pour un motif uniquement compréhensible en Espagne. Qu'Aurore Martin n’ait pas envie d'aller devant l'Audience nationale me paraît être la moindre des choses. Un gouvernement se doit de défendre ses ressortissants. Quand je vois comment notre pays bataille pour récupérer des Français emprisonnés au Mexique ou au Tchad par exemple, je trouve inacceptable de livrer une jeune femme pour des faits qui ne sont pas répréhensibles en France. On ne peut pas l’envoyer dans un processus d'accusation pour quelque chose qui n'est pas un délit chez nous. Cela relève d’un mépris du droit des citoyens. Aurore Martin a entièrement raison de ne pas se soumettre ». JEAN LASSALLE : « Je constate sans apporter de jugement de valeur qu'Aurore Martin a décidé de se cacher(…). J'ai lu sa lettre d'explication, elle m'a parue le fait d'une personne intelligente et déterminée, qui ne manque pas de courage. Qui plus est, elle rend hommage à la « solidarité » basque. Au fond, je dirais qu'elle en arrive là car on ne lui laisse pas d'autre choix, c'est la prison ou la prison ». « Ce qui me tient à cœur c'est la perspective possible d'un processus de paix. Je pense que les États ont chaque fois intérêt à jouer le jeu… Il faut faire très attention à ce qu'en Europe l'on ne retourne pas vers des réflexes nationalistes et partant de là des mégas problèmes. Ceci est un sujet de réflexion que je tâcherai d'approfondir… » MICHEL VEUNAC : Au nom de son groupe, Forces Aquitaine, le conseiller régional Michel Veunac (MoDem) a fait une intervention, lors de la séance plénière du 20 décembre, sur l'affaire Aurore Martin. « Nous ne partageons en rien des idées et des engagements politiques d'Aurore Martin. Bien au contraire, nous les combattons et avons toujours dénoncé les ambiguïtés de Batasuna par rapport à l'intolérable violence terroriste d'ETA, dont l'interruption définitive est la condition première et non négociable du retour à la paix civile en Pays basque. Mais nous ne pouvons accepter qu'une citoyenne française soit extradée et livrée aux autorités judiciaires d'un autre pays, fut-il un pays ami, pour ses convictions politiques et son appartenance à un parti interdit en Espagne mais autorisé en France », a notamment déclaré l'élu centriste biarrot. Des eurodéputés aussi Parmi les eurodéputés solidaires d’Aurore Martin, figurent les Français José Bové, Catherine Grèze, François Alfonsi, Malika Benarab-Attou, Karima Delli, Michèle Rivasi et Marie-Christine Vergiat, mais aussi des élus flamands, irlandais, suédois, lettons et belges… Ils dénoncent les « déviances » du mandat d'arrêt européen et rappellent que « la liberté d'opinion doit rester une liberté fondamentale ». |
A Saint Jean Pied de Port, on pouvait lire sur des pancartes brandies par des manifestants « Douze ans de prison pour des idées, ça suffit ! », en français et en basque.
(1)- « Le Journal du Pays Basque », quotidien généraliste en français de 16 pages, qui dès mercredi publiait un texte de mediapart.fr, consacrait à nouveau la une de ses éditions datées jeudi 23/12 à « l’affaire » Aurore Martin, qui « trouve un écho international ». Page 16, la météo (eguraldia) annonçait « Temps maussade, mais vent du sud ». Le site est en trois langues, français, basque et espagnol.
(2)- Une fois le document de la Cour de cassation officiellement entre les mains de la Cour d’appel de Pau, la justice française a ensuite théoriquement 10 jours pour remettre la personne visée aux autorités étrangères ayant réclamé l’extradition. « Des interventions politiques pourraient-elles troubler le calendrier de ce scénario juridique ? », interrogeait Sud-Ouest (18 décembre). Scénario encore plus « troublé » par la « disparition » de la militante basque.
Lundi 20 décembre, on ignorait si les autorités françaises avaient communiqué à leurs homologues espagnols l’aval donné par la justice française au mandat d’arrêt européen lancé par la Audiencia Nacional de Madrid, instance chargée du sort d’Aurore Martin.
La décision de la justice française survient au moment où en territoire espagnol la gauche abertzale radicale liée à Batasuna a jeté les bases d'un nouveau parti qui «répondra aux exigences de la loi anti-terroriste dite « loi des partis», celle qui permit l'interdiction de Batasuna en 2003. Le nouveau parti en gestation devrait être présenté en janvier par la gauche abertzale qui attend un cessez-le-feu (imminent) « permanent et vérifiable » d'ETA. Son leader actuel Rufi Etxeberria le confirmait jeudi au fil d’une interview accordée à Radio Euskadi.
Hasard du calendrier, la cour d'assises spéciale de Paris a condamné le 17 décembre l'un des anciens dirigeants les plus connus d’ETA à vingt ans de réclusion (dont deux tiers de sûreté). Il s'agit de Mikel Albisu « Antza » qui avait été arrêté le 3 octobre 2004 à Salies-de-Béarn (Béarn) au côté de sa compagne Soledad Iparaguirre « Anboto », laquelle a été condamnée à la même peine.
Cependant, l'avocat général avait requis trente ans de prison pour les deux « hauts dignitaires d'ETA » selon ses propres mots. Les juges sont donc restés en-deçà de ses réquisitions, tout comme dans le cas des huit autres accusés, parmi lesquels Peio Alcantarilla (10 ans, 15 ans requis) qui avait « reconnu », sous les tortures de la garde civile l'interrogeant en Espagne, que sa maison d'Urrugne (Nord) avait été « financée par ETA ». Les juges français ont préféré ne pas tenir compte de ces éléments du dossier correspondant aux déclarations de Peio Alcantarilla, qui avaient été transmises par le juge Andreu de l'Audiencia Nacional. Le juge madrilène a refusé de se présenter comme témoin à la Cour d'assises de Paris en prétextant « être de garde » la semaine dernière. Ce que la Cour n'a visiblement guère apprécié. Dans ses commissions rogatoires, le juge Andreu disait que l'opération « Antza » du 3 octobre 2004 avait été préparée avec la collaboration de l'Espagne. Or celle-ci n'a livré aucun élément sur ce point précis. Pas plus d'ailleurs que les responsables français de la lutte antiterroriste chargés de l'enquête venus témoigner à la barre, selon le quotidien Sud Ouest.
Selon les explications de l’avocat de la défense, Me Jean-François Blanco (l'autre avocat de la défense était Me Xantiana Cachenaut), le caractère « exceptionnel » ( il ne faut pas dire « clément ») de la décision des juges repose sur deux éléments, que Sud Ouest a soulignés : d’une part l'attitude de la justice espagnole qui a exigé une « coopération totale » de son homologue française dans le cadre de la coopération policière et judiciaire franco-espagnole, mais ne rend pas la pareille.
Et d'autre part le fait que la pratique de la torture (pas exceptionnelle même si elle n'est pas systématique) a été posée « avec beaucoup de force » selon les mots de la défense. Notamment par le biais de données figurant dans le rapport 2004 d'Amnesty International pour l'Espagne (année de l'arrestation des 10 accusés), lequel faisait état de 739 plaintes dont 116 émanant de migrants.
« L’énoncé de verdict a surpris jusqu'aux avocats de la défense et peut-être les accusés eux-mêmes », d’après Sud Ouest qui titrait lundi 20 décembre sur cinq colonnes « ETA : verdict exceptionnel ».
(3)- Comme on le sait, seuls des militants basques de nationalité espagnole résidant en France ont été extradés en Espagne, accusés d’appartenir à des formations réputées proches de l’ETA. Mais Aurore Martin n'est pas la première militante française à faire l'objet d'un mandat. Plusieurs personnes l'ont précédée, dont Yves Machicotte, Amaia Rekarte et Aritza Galarraga de l’organisation Segi en 2004, suivis de Jean-François Lefort d'Askatasuna en 2005, de Conchi Iglesias en 2007… Les juges de la cour d'appel ont rejeté chaque fois la demande espagnole les concernant. Segi et Askatasuna, comme Batasuna, sont interdites en Espagne et légales en France.
(4)- François Maïta, conseiller général de Saint Jean Pied de Port a eu l’occasion de déclarer : « On veut faire un exemple, lancer une mise en garde à, l’intention de Batasuna Iparralde (du Nord). Aurore Martin n'est pas une terroriste, elle n'est pas dans la logique des actions armées d'ETA ! Les faits retenus contre elle se sont produits durant la dernière trêve d'ETA (2006-2007), période d'espoir dont José Luis Zapatero fut l'un des acteurs aux parlements espagnol et européen (…) Cette extradition serait très choquante ».